Elles sont programmées dans la salle du conseil de la mairie. Date et horaires à préciser.
Cette année, Lok’en Bulles souhaite donner un coup de projecteur vers l’un des métiers méconnus de la bande dessinée : le LETTREUR !
Quand on pense bande dessinée, on pense dessinateur, scénariste ou même coloriste. Mais parmi les orfèvres du 9e art, il y en a un qui est souvent oublié : le lettreur. C’est le métier exercé par le Breton Stevan Roudaut, compagnon de route d’Emmanuel Lepage et spécialiste de la création de typos.
Interrogé sur la profession de lettreur, Stevan Roudaut se remémore une discussion menée un jour avec l’auteur Michel Plessix. « Il m’avait demandé si ça ne m’ennuyait pas trop de passer mon temps à remplir des bulles ». L’anecdote est livrée en souriant, sans ressentiment. « Beaucoup pensent que le lettrage, ce n’est que du remplissage. Mais ça peut être tellement plus… ».
Nettoyage, bulles et polices
Comme, par exemple, la mise au propre des planches, avec retraçage des cases et nettoyage des intercases et placement des bulles. « J’ai lu beaucoup de BD et je sais où les dessiner en tenant compte du chemin de l’œil du lecteur ». Celui qui a grandi à Saint-Brieuc et commencé dans la BD comme dessinateur dans les années 1990 en profite pour gentiment balancer : « Pas mal d’auteurs ont un trait magnifique mais sont nuls en placement du texte et en écriture ».
Mais son dada, c’est la création de typographies « soit purement inventées, soit basées sur l’écriture de l’auteur, pour conserver un aspect « écrit main » et rythmé. « Honnêtement, je ne connais personne d’autre qui fait ça ».
« Potion magique »
Son secret ? Il préfère le conserver. « C’est ma potion magique », glisse-t-il en riant. Sans trop en dire, la clé réside dans l’alternance de caractères : chaque lettre est réalisée en plusieurs versions, alternées au rythme des mots. « J’ai bien galéré pour trouver comment faire », lâche Stevan, qui regrette une uniformisation du lettrage dans la BD. « C’est ce qui fait la particularité de mon travail face aux autres lettreurs numériques ». Cette alliance talentueuse du numérique et du manuel, une ligne dans son CV la cristallise : sa collaboration avec Emmanuel Lepage.
« Totale confiance »
Un travail commun depuis plus de dix ans. « Sur une planche, j’ai réécrit ses textes numériquement, avec une typo basée sur son écriture. Il n’a rien remarqué ». Emmanuel Lepage se souvient : « Je ne pouvais plus écrire et il m’a amené une énorme souplesse. Avant ça, je trouvais les polices numériques formatées et très laides. Là, je n’ai pas vu la différence. C’étaient mes lettres ». « Bluffer les gens qui pensent que mes typos sont manuscrites, ça fait plaisir », admet Stevan.
Depuis, Stevan a lettré quasiment tous les albums d’Emmanuel Lepage. La collaboration s’épanouira avec la trilogie de BD reportages « Voyage aux îles de la désolation » (2011), « Un printemps à Tchernobyl » (2012) et « La lune est blanche » (2014). « Des ouvrages atypiques, qui demandent un gros travail graphique pour lequel Stevan m’est précieux », témoigne l’auteur. « Il sait comment je fonctionne et apporte toujours des réponses, en m’amenant parfois dans d’autres directions. J’ai une totale confiance en lui. Et croyez-moi, je ne le ménage pas : je suis très exigeant ! ».
Des anecdotes, le quadragénaire en a un paquet, avec Lepage ou d’autres : une page modifiée en une dizaine de minutes, une fin d’album changée à quelques heures d’une deadline, avec ajout de page à la clé, un casse-tête autour du lettrage d’un cri d’animal… « L’auteur de BD Jean-Claude Fournier pense que le lettrage fait partie du dessin. Et je suis d’accord : c’est du détail, mais ça compte dans l’appréhension visuelle d’une œuvre ».
En treize ans, Stevan a créé près d’une quarantaine de typos et œuvré auprès de nombreux auteurs (Gipi, Gibrat, Sacco…) et éditeurs. Il a dernièrement réalisé le lettrage du premier tome de l’ambitieuse saga « Les 5 Terres », paru en septembre. « Je fidélise par mon travail. C’est une sacrée reconnaissance même si personne ne le voit », résume-t-il, réaliste. Derrière son ordinateur, au milieu d’une impressionnante bibliothèque, il confie, non sans ironie, un seul souci : « Je ne peux plus savourer une BD normalement, sans me focaliser sur la typo… ». Le défaut du perfectionniste, sans doute.